Rencontré au Village associatif pour la prévention du suicide à Tours sur le stand Ut Fortis, Claude, à 73 ans, est retraité de la SNCF en France. Il a accepté de témoigner. Marié et grand-père d’une charmante petite fille, optimiste de nature, il n’aurait jamais pensé pouvoir développer des idées suicidaires de plus en plus obsessionnelles. Aujourd’hui remis et sous traitement, avec sérénité et recul, il témoigne et nous aide à mieux comprendre.
Ut Fortis : Merci Claude d’avoir accepté ce partage de prévention en toute authenticité.
Comment en es-tu arrivé au passage à l’acte pour que nous puissions comprendre ?
Claude : Je n’arrivais déjà plus à dormir depuis plusieurs nuits. Je n’ai pas déjeuné ce matin-là, j’étais comme dans un brouillard, rien n’était comme d’habitude. Je pratique souvent de la randonnée et ce jour-là, j’ai décidé d’aller marcher mais je ne me suis pas préparé, je n’ai pas pris mes affaires, ni mon téléphone mobile. Tout juste un peu d’argent et je me suis rendu à la gare. Dans le train, j’étais toujours dans le brouillard. Dans la ville d’arrivée, en passant sur un pont, j’ai eu comme un flash, je me suis dit que je ne voulais pas revenir chez moi, que ma petite fille, qui devait revenir bientôt nous voir, ne pouvait pas me voir dans cet état, qu’il fallait que cela s’arrête. J’ai fait une première tentative. Je me suis souvenu des récits de mes collègues de gare qui avaient mentionné la présence d’alcool sur les lieux de suicide. Je me suis rendue dans une supérette où j’ai acheté une fiole d’alcool que j’ai vidé. N’étant pas habitué à boire, je suis tombé dans une sorte de confusion et je maîtrisais mal mes gestes, à partir de là, il m’est difficile de de me souvenir ; je me suis réveillée dans le camion des pompiers, c’était en fin de matinée. J’ai été déposé aux urgences de la ville pour tentative de suicide, jusqu’à l’arrivée des psychologues en fin d’après-midi. L’hôpital a contacté mon épouse qui est venue. J’avais des craintes mais elle ne m’a pas jugé. J’ai été activement suivi sur 6 mois. Depuis cette période, je suis toujours suivi et sous traitement pour dépression. Cela va mieux.
Article Qu’est-ce qu’une crise suicidaire ?
« Je ne pensais pas traverser une crise suicidaire un jour. »
Ut Fortis : Avec le recul, comment penses-tu que cela a pu arriver ?
Claude : C’est toute une succession d’événements qui m’a conduit à ce pont. J’ai commencé à développer des crises d’angoisses à partir de 2013. A partir du mois de juillet, quand ma mère a basculé dans la maladie d’Alzheimer (maladie dégénérative). Les 6 mois qui ont suivi ont été terribles, le temps de lui trouver un EHPAD pour que des personnes habilitées puissent prendre soin d’elle. C’était très difficile de voir sa mère si diminuée et je m’en occupais seul. Après son admission, c’est resté délicat, du fait de sa maladie. Elle est décédée en 2020 suite à la Covid-19 et les conditions des funérailles ont été rudes à cause de la pandémie. Faire le travail de deuil dans ces conditions a été compliqué et je devais libérer la chambre en EHPAD dans un délai très court. Avant la maladie de ma mère, je ne me connaissais pas d’idées suicidaires. En 2023, une brouille familiale suite à l’hospitalisation d’un autre membre de la famille, un incendie dans la résidence où j’habite et les émeutes urbaines en France de 2023, où mon fils a failli être victime, m’ont ébranlé. Mais on ne s’en rend pas compte. On cherche une échappatoire sans le savoir.
Ut Fortis : Que dirais-tu au Claude de 2013 ?
Claude : Je ne sais pas quoi répondre. Ce Claude était en angoisse, je sais ce que c’est que d’avoir la boule au ventre. A l’époque j’ai été assisté par des services du Conseil Général pour effectuer les démarches pour ma mère. Mais je ne saurai pas vraiment quoi dire à ce Claude. Je sais faire au niveau des démarches pratiques et des formalités, au niveau émotionnel, c’est autre chose.
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UT Fortis : Souhaiterais-tu ajouter quelque chose, donner un message ?
Claude : Je ne pensais pas traverser une crise suicidaire un jour. J’ai toujours eu tendance à trouver le bon en tout. Mais je me disais que si un jour, je tombais gravement malade, je mettrai fin à tout cela. Aujourd’hui je me pose des questions sur le dépistage de maladie comme celle d’Alzheimer. Je connais l’histoire de deux personnes qui ont mis fin à leurs vies après avoir su qu’elles avaient des maladies dégénératives.
Aujourd’hui je me connais mieux et si j’avais un message, cette citation sur le poster de prévention explique bien ce que j’ai vécu.
(voici le poster mentionné par Claude)
Pourquoi sensibiliser ?
– Parce que la crise suicidaire peut être surmontée mais il faut demander de l’aide car elle peut être trop intense. Avez-vous pensé au plan de sécurité (élaboré par des soignants et mis à disposition) ? Lien
– Parce qu’avoir connu un proche qui s’est suicidé est perturbant et peut nous fragiliser, surtout si on traverse une période délicate (familiale, professionnelle, économique, de santé). Avez-vous pensé à en parler ?
Lien pour le guide de gestion d’excès de stress en 8 langues de l’OMS / Lien ressources écoutes.